La Fonte des sables
FRANÇOIS TAILLADE, 2016
La Fonte des sables, titre qu’a donné Laurence De Leersnyder à son ensemble d’œuvres, à ces quatre sculptures tripodes en aluminium qui se présentent à vous dans les murs de la galerie Laurent Mueller, nous conduit à deux temporalités importantes dans la création de ces pièces.
Ce titre nous amène d’abord à la genèse de l’invitation de Laurence De Leersnyder au Cyclop. C’était en mai 2014 dans une salle d’exposition berlinoise, du nom de « Nun » créée par un couple français. Laurence était en duo avec une autre sculptrice, Zoë Paul, sous le commissariat de Marie Cantos. Les obsessions littéraires de la commissaire, et notamment de Victor Hugo, avaient donné comme titre à cette première exposition La neige fait au Nord, ce qu’au Sud fait le sable. Les titres se répondent ici par analogie. Le duo d’artistes, à ce moment là à Berlin, suggérait un travail complémentaire par opposition. Zoë avait passé ses après-midi dans les magasins d’outillage pour composer des formes graciles à partir de matériaux industriels. Laurence avait composé trois colonnes massives en terre, opération à la fois simple et délicate, extrêmement fragile, où à cause du matériau naturel friable, l’accident plus que probable avec le visiteur semblait faire partie de l’œuvre. L’accident arriva, une des colonnes s’effondra lors du vernissage, et la terre se répandit dans tout l’espace bien évidemment blanc du lieu d’art berlinois, la terre fut transportée par les chaussures des invités, l’œuvre de Laurence s’échappait du « white cube », elle parcourait les rues.
L’expérience allemande me semblait pouvoir ouvrir un univers des possibles en sculpture, qui résonnait de façon forte avec à la fois la composition post- industrielle monumentale du Cyclop de Jean Tinguely et la nature, la forêt qui est son écrin. J’ai donc proposé cette invitation en résidence, au même trio d’artistes et de commissaire pour l’été 2015, dans les bois de Milly-la-Forêt, ce qui nous conduit à cette deuxième temporalité.
Le travail sculptural de Laurence De Leersnyder est une recherche sur les formes que peuvent donner la matière, que ce soit la terre, le plâtre, le béton… elle apprécie particulièrement le procédé du moulage pour réaliser ses œuvres. Elle ré-agite les grands questionnements autour de la sculpture : les matériaux nobles ou pauvres, l’opposition du vide et du plein, la place ou l’absence du socle. Pour cette nouvelle série, Laurence a voulu s’essayer à un nouveau type de matériau, le métal, en l’occurrence l’aluminium, et donc de procédé, la fonte. Nous avons dû construire un four, enfoui dans le sol particulièrement sablonneux de l’orée de la forêt de Fontainebleau, pour pouvoir réaliser la fusion de l’aluminium, son passage à l’état liquide. Autour de ce four, Laurence a commencé à creuser la terre ou plutôt le sable, pour y créer des moules. Son corps a toujours servi de référence, la hauteur du moule ne dépassait pas celle de son bras. Elle était allongée à même le sol pour les réaliser. Il y avait une relation charnelle à son modèle. Le métal en fusion fut ensuite coulé dans les cavités pour y donner ces formes organiques, ces empreintes du sol modelées par l’artiste. Une contre-forme de l’empreinte originale en chamotte (mélange de brique rouge pilée, de plâtre et d’eau) a permis de caler le métal sur l’empreinte de la terre.
Ces explications peuvent peut-être paraître laborieuses, mais elles précisent la présentation des œuvres sur le site, et l’impression qu’elles m’ont donné. La chamotte a dû être cassée pour laisser place à la sculpture en métal seule. Les traces de brique pilée, de la chamotte retirée, se répandaient sur le sable de la forêt de Milly, elles le teintaient en rouge, et cette vision m’apparaissait comme une autre manière de revenir à l’exposition berlinoise.
François Taillade est le directeur du Cyclop de Jean Tinguely à Milly-la-Forêt.