Perspective de fuite à l’anglaise
Anne Langlois, 2017
Les œuvres de Laurence De Leersnyder sont le résultat d’expériences. Le processus, l’expérimentation, s’ils ne sont pas rendus visibles, se devinent lorsque l’on prend le temps de déchiffrer ces formes dont on perçoit au premier abord l’étrangeté, voire l’incongruité. Ses œuvres contiennent la trace d’actions naturelles, liées au temps, ou humaines – la sienne, sur la matière.
L’artiste utilise des matières naturelles comme de la terre, des matériaux qui se transforment comme du plâtre, de la cire, des alliages, ou des matériaux courants de construction comme du sable ou du béton, qu’elle travaille de manière contre-nature : déformés, forcés, retournés, malmenés… Pour Colonnes de terre (1), elle contraint une masse de terre en une forme géométrique uniquement par la force de la pression. Elle provoque ainsi des changements d’état de la matière : quelque chose d’informe, d’instable, de friable, de composite, devient solide.
Elle met également en place des phénomènes d’inversion où un creux devient un plein. Pour La fonte des sables (2), elle creuse la terre et y coule de l’aluminium, réalisant ainsi le moulage d’un vide. Un volume qu’elle érige ensuite à l’envers sur un socle, alors que la matière conserve la forme de l’apesanteur initiale d’où provient en partie l’étrangeté de l’œuvre.
Le passage de l’horizontalité à la verticalité fait aussi partie des manipulations qu’elle produit. Concretum (3) est un ensemble de trois moulages en béton de surfaces de terre ensuite érigées en monolithes, sur le lieu même de leur prélèvement.
La trace, l’empreinte, la géologie sont omniprésents dans le travail de Laurence De Leersnyder, qui consiste souvent en la révélation de ce qui est habituellement caché, enfoui. Elle remonte ces formes à la surface dans l’espace d’exposition, ou intervient directement à l’extérieur, dans nos espaces naturels maîtrisés voire construits. C’est aussi ce dont elle parle, de cette nature que l’homme cherche à contrôler depuis toujours.
Perspective de fuite à l’anglaise (4) est une intervention paysagère : des portions de pelouses se soulèvent, créant des vagues et perturbant le paysage dessiné du Jardin du Thabor à Rennes. Elles en modifient subtilement l’aspect et l’expérience, faisant surgir à la surface la trace d’une éventuelle vie secrète souterraine.
Anne Langlois est la directrice du centre d’art 40mcube à Rennes.
(1) Colonnes de terre, 2014, terre végétale, socle métal, dimensions variables.
(2) La Fonte des sables, 2015, fonte d’aluminium. Série de 4 sculptures : 227 × 64 × 76 cm ; 173 × 105 × 43 cm ; 115 × 60 × 46 cm ; 102 × 80 × 68 cm.
(3) Concretum, 2014, béton, terre. Série de 3 sculptures : 500 × 150 × 80 cm. Installation pérenne sur le site de HEC Paris, Jouy-en-Josas.
(4) Perspective de fuite à l’anglaise, 2017, aluminium, pelouse synthétique. Série de 7 sculptures : 250 × 130 cm hauteur variable. Production 40mcube, Rennes.